Témoignage de Nathalie

Portrait de abcfr

CHRONIQUE DE NATHALIE …

et d'une rencontre annoncée avec l'ABC

A 43 ans, le port des vêtements féminins est pour moi une longue, très longue histoire de près de quarante années.

Dès le plus jeune âge, 5 ou 6 ans je pense, je prenais un grand plaisir à fouiller dans le coffre à déguisements que ma mère laissait dans ma chambre. Les habits de Zorro où Thierry la Fronde ne m'intéressaient pas, non, non. En revanche, j'avais découvert quelques paires de bas nylon que j'adorais revêtir. Déjà à cet âge, cette attirance me semblait bizarre et je me contentais, quelque peu frustrée, d'enfiler ces bas en cachette ou, ni vu ni connu, de les fixer avec des élastiques de fortune sous mon pantalon. Ces fameux pantalons de l'époque au tissu laineux horrible qui piquait les jambes étaient bien plus agréables à porter ainsi !… Régulièrement, je chipais des sous-vêtements à ma mère que je portais ainsi sous mes vêtements " officiels ". Je ne me suis jamais fait prendre mais…j'avais peur. Lorsque nous partions en vacances, je savais que je ne pourrai vivre ce bien-être pendant un mois et c'était toujours un problème pour moi. Dès le retour de congés, je recommençais discrètement à visiter la commode de ma mère…

Un grand moment pour moi fut l'entrée en 6ème. Je me souviens que chaque lundi après-midi était libre dans mon emploi du temps. C'était le moment magique de la semaine que j'attendais avec impatience pour me retrouver seule dans l'appartement familial. Je jetais mon cartable dans un coin et ouvrais l'armoire aux mille merveilles. Je pouvais ainsi, dans le secret de mon intimité, m'habiller totalement en fille avec les vêtements de maman choisis pour la circonstance et vivre ma féminité plusieurs heures.

Mes années collège-lycée se déroulèrent ainsi, profitant de ces précieux moments où je pouvais être seule à la maison pour être une fille. Ce n'était pas sans risque et je me souviendrai toujours de la peur de ma vie le jour où la femme de ménage arriva à une heure tout à fait inopinée. Lorsque j'entendis la clef tourner dans la serrure de la maison, mon sang ne fit qu'un tour et alors que mes cheveux, longs à l'époque, se dressaient sur ma tête, je me demande comment mon cœur qui a battu si vite ne s'est pas arrêté !Je n'ai jamais monté des escaliers aussi vite, m'étalant plusieurs fois de tout mon long sur les marches, perchée sur des sandales maternelles avec lesquelles je marchais alors bien maladroitement. J'avais heureusement atteint l'étage lorsque la porte s'ouvrit…mais quelle frayeur !

Malgré cette terrible alerte, je ne pouvais m'empêcher de vivre cette féminité. Je savais que je ne faisais de mal à personne mais je me disais à de nombreux moments que cela n'était pas " normal ", que c'était défendu, donc mal, et je culpabilisais. Je me rendais bien compte que les copains que j'avais n'étaient pas comme moi (quoi que, sait-on jamais…).

Je poursuivis mes études post-Bac partagée entre mes désirs et cette culpabilité lancinante. J'avais bien lu certains articles à sensation, plus ou moins malsains sur des " travestis " dans la presse ou autre mais moi je n'étais pas ainsi, je me sentais en fait seule au monde.

Puis, vint le temps de l'entrée dans la vie professionnelle et de la première vie commune avec une femme. Celle-ci accepta (tout nouveau, tout beau) ma particularité et je pouvais vivre en fille très souvent dans le secret de l'appartement. Je me constituai enfin une garde-robe personnelle digne de ce nom.

Puis vint le temps des enfants, merveilleux moment de la vie de parent.

Mais les enfants grandissent et il se trouva un moment où je ne pouvais plus du tout vivre ma passion à la maison. De plus, l'entente avec mon épouse se dégrada par l'usure de la vie. Mon goût pour le travestissement n'en était pas la cause mais il devenait mon véritable talon d'Achille qui permettait si facilement de m'humilier ou de me mépriser à l'occasion de chaque conflit de la vie quotidienne. Si elle me traitait régulièrement de " folle " au sens figuré, je parvenais à me demander si je n'étais pas réellement folle au sens propre du terme ! Prenant mon courage à deux mains, je décidai en secret de consulter une psychiâtre-psychanalyste. Je m'y rendis en femme, tailleur noir et escarpins. Notre conversation dura plus d'une heure et me fit un bien immense. Elle me dit que je n'avais nullement besoin d'elle au sens clinique du terme. Dans chaque être humain coexistent une part de féminité et une part de masculinité. Ma part féminine était certes supérieure à la " norme " et alors ? Je ne faisais aucun mal et j'étais en droit de vivre ce côté féminin à partir du moment où cela ne causait pas de tort à mes proches.

Je décidais ainsi de franchir un pas vers la liberté en me rendant de temps en temps à Reims pour vivre en femme : rendez-vous chez l'esthéticienne (super gentille), shopping en ville l'après-midi, cinéma le soir. Enfin, je me changeais avec regret au Formule 1 avant de retourner, comme si rien n'était arrivé, à la maison.

J'adorais ces moments que j'organisais minutieusement longtemps à l'avance mais, seule, j'avais comme on dit " la trouille " même si ces multiples sorties se sont toujours passées sans aucun problème. Il m'arrivait de croiser quelque passant au regard inquisiteur ou narquois qui me mettait mal à l'aise mais c'est tout.

Et puis j'ai rencontré dans mon travail Lisa. Au fil des jours, nous sommes tombées très amoureuses l'une de l'autre. Elle me disait que j'avais quelque chose qui n'était pas comme les autres hommes. Quelque chose d'indéfinissable qui l'attirait et l'intriguait en même temps. Moi, de mon côté, je lui disais que l'on ne pouvait pas m'aimer, que je n'étais pas " aimable ", à cause d'un secret enfoui au fond de moi. Puis, à force de mise en confiance, je lui ai tout avoué. En fait, l'intuition féminine aidant, elle a deviné. Sa réponse spontanée fut : " Et alors ? Ca n'a aucune importance et si tu te sens bien ainsi, tant mieux !… "

Une nouvelle vie commença donc pour moi voici six ans, une vie d'amour, de confiance réciproque et de complicité.

Nos enfants respectifs sont toujours à la maison (ils ne savent rien évidemment) mais je ne suis plus frustrée ou malheureuse. Avec la complicité et l'aide de Lisa je me suis rendue à partir de ce moment régulièrement à Paris, avec ou sans elle selon son désir, vivre une vie de femme toute une journée : visite de musées, shopping et cinéma.

Lisa me suggérait régulièrement d'essayer de prendre contact avec des personnes " comme moi " avec qui je pourrais échanger, discuter, vivre des moments entre filles. J'ai alors commencé des recherches sur Internet persuadée que rien ne pourrait exister susceptible de convenir à mes attentes…

Et puis, parmi bien d'autres sites qui ne m'intéressaient pas, je suis tombée sur le site de l'ABC.Les règles de l'association correspondaient en tous points à ce que je recherchais. Etait-ce possible ? J'appris que Gaby avait eu le courage et la volonté de créer cette association en 1975…Je regrettai déjà de ne pas avoir connu plus tôt l'ABC qui m'aurait sans doute aidée dans tant de moments de solitude intérieure.

J'ai donc contacté Alison, correspondante régionale, qui m'a répondu de manière très sympathique et j'ai tout de suite adhéré à l'ABC.

Je me suis rendue en octobre à la réunion des Parisiennes au restaurant Melting-Pot, après m'être changée dans un hôtel sur le trajet et avoir revêtu un joli tailleur gris-clair. Je n'était guère rassurée d'entrer dans ce restaurant…

Qu'allais-je y rencontrer ? D'emblée, Carole m'a accueillie chaleureusement. J'ai rencontré également ce soir-là Annie, Valérie, Alison, des filles super sympas. Nous avons discuté, ri et bien mangé de surcroît. j'étais à l'aise et la soirée a passé très vite, trop vite. Je suis repartie en pensant déjà à la date de la prochaine réunion.

Je me suis rendue ensuite à l'assemblée générale de l'ABC le 23 novembre. Toujours très bien accueillie, cette réunion fut extrêmement sympathique et j'ai eu la chance de rencontrer Gaby, Dominique notre Présidente, Marie-Claire Popette, Chantal, Patricia (pardon pour celles que j'oublie), ravie de ces rencontres avec celles que j'appelle déjà mes Amies. Lors des présentations, j'ai émis un regret… celui de n'avoir pas connu l'ABC plus tôt !

Depuis, je fais en sorte d'être toujours présente aux réunions de l'ABC où je fais de nouvelles rencontres avec des copines toutes plus sympas les unes que les autres, je pense notamment à Martine ou Annabelle. Lisa m'a accompagnée en décembre. J'étais très heureuse qu'elle soit avec moi et elle m'a dit avoir passé une très bonne soirée, surprise de l'exceptionnelle convivialité de ces réunions et de l'immense gentillesse de mes amies chez qui prédominent des qualités rares : l'humour, la tolérance, la modestie, le respect d'autrui, la générosité et la sincérité.

Je pense que beaucoup de gens dits " normaux ",parfaitement intégrés dans un monde qui se déchire et une société ô combien individualiste, qui pourraient être tentés de se moquer de nous et de nous mépriser par ignorance, méconnaissance ou tout simplement par bêtise, feraient bien de s'en inspirer !

Depuis mon adhésion à l'ABC, je me sens moins seule avec ma particularité et je puis dorénavant dire que je la ressens comme un atout, une chance et un bonheur que le commun des mortels ne connaîtra jamais.

Régulièrement, avec Annie, nous sortons dans Paris entre copines et je suis très à mon aise. Nous faisons du shopping, nous allons prendre un verre, nous allons dîner le soir au restaurant …comme le feraient deux filles très ordinaires.

Je ne cherche pas à jeter des fleurs à l'ABC, je dis ce que je pense, j'exprime ce que je ressens, c'est tout.

J'ai envie de lancer un appel à toutes celles qui sont comme nous mais qui vivent leur passion en cachette, souffrant de la solitude, de la crainte et du mal-être : Rejoignez-nous à l'ABC !

Pour ma part, ce qui me semblait impossible voici quelque temps est devenu une réalité : je me suis inscrite au week-end en mai en Belgique, réunion que nos amies belges ont la gentillesse d'organiser pour nous toutes. J'y retrouverai mes amies deux jours et nous découvrirons Namur ensemble.

Je pense que je mettrai mon tailleur gris rayé blanc et selon le temps, des escarpins ou des sandales. Comme le ferait une femme très ordinaire.

Au grand jour, heureuse d'être Nathalie.

Nathalie