Témoignage de Tina

Portrait de abcfr

RENCONTRES ABC D’EVIAN 2003 : QUELQUES TRANCHES DE VIE

C’est avec plaisir que je rédige cet article pour Double Je, ayant été plus ou moins plébiscitée par certaines de mes consœurs. Ces rencontres organisées à Evian du vendredi 19 au dimanche 21 septembre devaient rassembler jusqu’à 32 participantes, travestis de tous âges, de différentes régions et quelques représentantes de l’ABC Hollande et Allemagne, certaines accompagnées de leurs compagnes.

Evian, jeudi 18.
Ma femme et moi venons d’arriver à l’hôtel les Cygnes, heureuses de revoir Gaby arrivée la veille, que nous avions rencontrée déjà à Namur. Installation : la chambre est petite et donne sur la rue. Pas de chance, mais tout est complet et malgré toute la bonne volonté du responsable de l’hôtel, aucune chambre avec vue sur le lac n’est disponible. Mais bon, il nous en faut plus pour nous décourager. Le personnel est chaleureux, des tables en terrasse, le coucher du soleil sur le lac Leman nous convainquent de dîner sur place. Au menu, l’incontournable fondue accompagnée d’un fondant, partagée avec les nouvelles arrivantes : Noëlla et son épouse, Yvette et Arlette…

Vendredi 19.
Repas de midi : nous sommes accueillies chaleureusement par Patricia et sa mère. Nous sommes 12 attablées devant un barbecue amoureusement préparé par Patricia. Nous écoutons avec intérêt la nostalgie des souvenirs d’autres moments passés dans sa Pizzeria avec l’ABC évoquée par la maman de Patricia. L’après midi passait agréablement en compagnie de ces deux femmes, vieilles complices de l’ABC depuis plus de 20 ans, si bien que nous en oublions le projet de promenade sur le port via le funiculaire. Nous étions bien : un soleil magnifique et les parasols ne savaient plus où donner de l’ombrelle pour les convives repus de cette charmante compagnie. L’heure du dîner approchait : les participantes avaient rendez vous au Bernolande où nous avons eu le plaisir de retrouver Kristina et sa femme, connues à Paris, lors d’une de ces réunions mensuelles de l’ABC, au restaurant le Melting Pot. Ma femme et moi faisions compliment à Kristina de sa belle robe de soirée.

Samedi 20.
Nous nous sommes accordées une grasse matinée tant et si bien que j’ai raté l’exposition de chaussures féminines qui s’est déroulée sans nous. Ceci dit, la motivation n’y était pas vraiment ; il me faut désormais compter sur pas moins de 2 valises pour mes robes et chaussures. Depuis mon travestisme, ma femme et moi sommes devenues des complices invétérées de notre expression vestimentaire ce qui n’arrange rien à l’espace consacré à notre garde robe et donc à nos bagages. L’heure du déjeuner arrive rapidement. Le soleil, toujours au rendez-vous nous accompagne jusqu’aux Marmottes. Je me demande encore d’où vient le nom de ce restaurant car je n’en ai pas vu une seule durant la montée jusqu’au pied de la Dent d’Oche. Les parasols festoyaient avec nous sur la terrasse. Nous avons découvert May-Line et sa compagne avec qui nous avons sympathisé dans le petit groupe que nous formions déjà avec Kristina et son épouse. Après une promenade dans la montagne, rendez-vous chez l’esthéticienne pour me faire faire LE maquillage de mes rêves. C’est ainsi que Tina a arpenté la rue piétonnière d’Evian en compagnie de sa femme. J’étais une femme parmi tant d’autres, je savais que c’était gagné. Ce n’était pas seulement une impression. En vue de « la grande soirée de gala », nous attendions à l’entrée de l’hôtel vers la salle à manger. Trois jeunes femmes, en passant, me saluent d’un « Félicitation, c’est très réussi ! ». Cette petite phrase venant d’une personne étrangère et qui plus est d’une femme, comme beaucoup de travestis, j’étais heureuse et flattée. Ce regard de l’autre, je ne l’aurais jamais eu en restant entre mes quatre murs, mais le plus important reste, pour moi, de savoir que j’ai dépassé une étape : il ne m’est plus nécessaire de porter un maquillage trop appuyé ou des vêtements outrancièrement sexy pour être féminine. Mon but était atteint : être vêtue comme une consœur et non plus comme un fantasme masculin. Quatre tables de huit personnes étaient mises. Le nouveau groupe d’amies s’était formé. Nous avions envie de nous retrouver car nous avions beaucoup à échanger. Nous n’étions pas les seules, compte tenu du brouhaha ambiant dans la salle. Nous vivions un moment de bonheur. Nous donnions libre court à nos plaisanteries, mais aussi à des sujets plus graves comme l’opération pour devenir transsexuel ou plus philosophiques comme « entre Bonheur et Argent que choisis tu ? ». La soirée s’est terminée dans le fumoir où le responsable de l’hôtel finit par nous inviter à libérer son personnel compte tenu que nous étions déjà dimanche passé de 2 bonnes heures.

Dimanche 21.
La matinée s’égrène au fil des départs : adieux, échanges de mail et promesses de retrouvailles. Kristina et sa femme restent encore deux jours à l’hôtel. Nous, décidons de rester une journée de plus et découvrons Evian : ballade en catamaran solaire sur le lac, puis ballade dans les hauteurs par le funiculaire. Pour finir, dîner à l’hôtel où nous rejoindront Yvette et Arlette, qui finissent leur repas. J’apercevais derrière nous, à une table voisine, un petit groupe de personnes moquant le travestisme. En femmes intelligentes, nos épouses proposèrent que nous fassions une séance photo toutes ensembles. Le groupe voisin riait moins. Arlette me montra ses photos : je vis un très beau jeune homme en costume militaire très photogénique. J’étais un peu interloquée. Arlette venait de fêter sa 75ième année, elle avait participé à la deuxième guerre mondiale. Non seulement elle y avait participée, mais elle avait fait de la résistance alors qu’elle n’était qu’une adolescente et ceci, pour finir, après un long périple, en combattant au coté des armées alliées en tant que fusilier marin, sur la plage de Omaha-Beach. J’avais en face de moi, une miraculée, un héros de la libération vêtu en femme. Lorsque je lui ai dit que nous lui devions notre liberté, la tablée voisine s’était interrompue dans ses quolibets. Le plus ancien de la troupe de marrants, manifestement le « meneur », avait le regard fuyant. L’homme n’était plus à l’aise du tout face à sa femme et ses fils. Pour celles de ma génération qui ont vu le film, certes, à tendance pro américaine « Il faut sauver le soldat Ryan » de Steven Spielberg, au moins pour les 20 premières minutes du film, sauront à quoi je fais allusion : le débarquement. J’étais très étonnée que l’on puisse être travesti en ayant vécu tout ça, dans une carrière militaire. Arlette, comme toutes celles d’entre nous, sut exprimer la féminité qu’elle avait en elle, qui lui permit de ne pas exercer son commandement de manière impulsive, mais réfléchie et ne pas envoyer ses hommes à la mort, par vengeance machiste contre l’ennemi. Arlette m’a expliqué aussi qu’elle avait côtoyé, parmi les combattants alliés, des femmes. Le courage n’a pas de sexe. Elle a une voix très douce, elle n’ose toujours pas se présenter aux anciens combattants, vêtue en femme. Si, par un après midi d’été, au son des cigales, vous voyez une petite dame assise sur un de ces bancs d’un un jardin public, en train de lire un roman, il est probable que ce soit elle. Elle n’a peut être pas donné la vie avec ses entrailles, mais elle a su donner son sang pour la liberté. Ecoutez-la, je crois qu’elle a une histoire à vous raconter !

En conclusion :
Je me demandais pourquoi Gaby continuait, à s’occuper de la gestion de l’ABC après avoir consacré plus de 20 ans de sa vie à cette association ! La société a changé, il semble plus facile pour les travestis de sortir dans la rue et de se fondre dans la foule des femmes anonymes. En réalité, pour moi et les nouvelles venues avec qui j’ai échangé, la démarche n’a rien d’évident, car pour nous, il n’est toujours pas question d’exposer notre travestisme au regard de la famille, de nos collègues de travail et souvent de nos amis. C’est dire que les occasions de sortir en femme sont rares et les rencontres et sorties organisées par l’ABC sont les bienvenues. A travers les échanges d’Evian, j’ai compris que l’ABC, à travers son éthique et ses statuts, nous permet de nous faire accepter par le grand public et, ainsi, de remettre en cause les idées préconçues, en ne laissant pas les travestis seuls face au mercantilisme de l’industrie du sexe.
Aucun marin au monde n’a intérêt à saborder son propre navire. Cependant, la menace « hétéro machiste » est bien présente. La moindre faille parmi les membres de L’ABC peut condamner cet équilibre fragile. C’est pourquoi je crois à l’adhésion aux valeurs prônées par l’ABC qui se réclame de la bannière de M. de Beaumont, chevalier d’Eon, agent secret travesti, au service du roi Louis XV.

Bises.


Tina